Mulhouse Istanbul à vélo

Avant dernière étape avant Edremit : Akçay.

🇹🇷 3️⃣5️⃣0️⃣0️⃣km
 
Village de tout les possibles pour le petit Bekir lors des vacances d’été.
Grands-parents, oncles et tantes, cousins, ami(e)s, chiens, un festival familial autour du Motel de la plage tenu par mon oncle Ali.
Le Kulapalas !
Un nom qui vous fait entrer dans un film de Wes Anderson, avec toute la dramaturgie rocambolesque des grandes réunions de famille hautes en couleurs, tonton Ali en tête.
C’est là que mon monde grandissait, avec folie et humanité, gourmandises et interdits, libertés, nature et espiègleries.
Cela était d’autant plus libérateur que mes parents, travailleurs ouvriers, durant plus de trois saisons, avaient économisé tout sauf leur sueur pour nous offrir cette bulle de bonheur…
On se souvient tous de nos premières fois.
Celles qui sont constituantes.
 
De la petite enfance au seuil de cette maladie qu’Alexandre Jardin appelle l’Aldultie, c’est là, à Akçay que j’en ai vécu énormément.
 
Première immersion, tête sous l’eau salée de la mer Egée.
 
Hippocampes attrapés à la main.
Banquets et danses sous les platanes géants du Kulapalas.
Sorties de nuit sans les parents.
Premier canif acheté en cachette.
Premier (et dernier) chaton tué volontairement.
Collier en pince de crabe séché au soleil.
Les filles qu’on pousse dans la mer parce qu’on ne sait pas leur dire je t’aime.
Compliments indélébiles.
Conduire une Chevrolet assis sur les genoux de tonton Ahmet.
Les filles qui vous poussent dans la mer parce qu’on leur a dit “Je t’aime”
Les veillées chair de poule où on parle du diable et de ses acolytes.
Ses parents heureux.
Le goût du “Gazoz Uludağ”
Le cimetière familial.
La fille de la mer qui vous dit “je t’aime”.
La bagarre avec son meilleur copain (à cause de la même fille)
Fumer trois paquets de cigarettes cachés dans le cinéma en plein air pendant un film de karaté.
Ramasser du bois pour faire un feu sur la plage.
Se fâcher avec la fille et retourner rire avec son copain.
Se rendre compte qu’il n’y a plus d’hippocampe en mer…
 
Akçay, c’est tout ça et 1000 autres graines de Vie dont certains fruits ne cessent de me nourrir encore.
Lors d’une séance d’hypnose avec mon ami Martial Chevalier que pour des raisons de haute confidentialité nous appellerons MC, il me posa la question suivante quant à mon choix de destination :”pourquoi la Turquie, İstanbul, Akçay Edremit… et pas Stockholm ou Tanger?”
– hum… Bonne question
– pourquoi pas la Finlande ?
– Parce que là-bas, on m’attend.
 
Je ne l’avais pas conscientisé mais en effet, dans mes déplacements, celui-ci en particulier, j’ai besoin d’aller vers quelqu’un davantage que quelque part.
 
Vers ma mère, la famille, les amis, et sans doute aussi : vers moi-même.
C’est sur la grande place d’Akçay que j’ai donné rendez-vous à ma mère. Pour la première fois elle me suit depuis le matin grâce au lien GPS de son téléphone.
 
Mon père, lui, est partout… Il n’a même pas à pédaler, c’est trop facile.
Elle n’est pas venue seule, la famille, les voisines, les proches sont là.
 
Ils la précédent avec une émotion qui passe immédiatement à marée haute mes larmes et mon visage se transforme en serpillère tordue et mal rincée !
 
Je suis bouleversé d’être arrivé là.
 
6 à 10 heures de vélo par jour depuis 45 jours.
 
Chaque tour de pédale m’a amené ici centimètre par centimètre…
 
Ma mère court vers moi, bras au ciel qui se déchire et fait disparaître Akçay et le reste du monde. Je saute du vélo et le voyage se termine dans nos bras qui se referment sur nos pleurs de joie.
 
J’ai le sentiment de n’être jamais parti.
 
Mes roues ont cessé leurs révolutions et c’est le monde qui tourne autour de nous.
Mes oreilles se sont bouchées durant ces retrouvailles. La sensation d’acouphènes se dissipe lentement et j’entends se rapprocher des applaudissements, des cris et bravos… La famille et les proches m’entourent et m’inondent d’amour, de bravos et bienvenus qui finissent d’essorer mes magnifiques yeux.
Je rejoins tout le monde à la table d’une terrasse qui sert le dessert dont je rêve depuis 3 jours :le muallebi au sakız.
 
Elle est pas belle la Vie ?
 
Demain, j’entre dans le cortège d’Edremit pour célébrer les 100 ans de la République Turque (!)
 
Merci a Fulya Tezer pour les photos