Mulhouse Istanbul à vélo

Jour 13

🇦🇹 repos à Linz
8️⃣4️⃣0️⃣Km dans les mollets
 
Cuisses et mollets au garde à vous.
 
J’ai beau leur dire repos, ces jours passés en Suisse Allemagne et Autriche semblent leur avoir inculqué un sens de la discipline qui m’est étranger… ils restent tendus.
Je tente de respecter ce rythme de 5 à 6 jours de vélo puis 1 jour de repos.
 
Au programme :
Trouver de meilleurs gants pour soulager ma main gauche toujours en grève.
Essayer un short de cycliste rembourré car ça commence à faire bien mal.
Regarder du côté des housses de selle en gel.
Et tout ça à pied, dans Linz.
 
Visiter le mémorial de Mauthausen a 20km de là.
 
Je me sens tout nu sans mon vélo. Il est ma maison, ma cuisine, mon armoire à vêtements, ma pharmacie, mon tapis volant… il est devenu une partie de moi, avec lui, nous sommes le voyage.
Ces jours et ces nuits dans la nature, les espaces, mes sens en éveil 24/24, il m’est difficile d’être en centre ville. Pire, mon entrée dans cet immense centre commercial me fait penser à Albert Camus… le décalage de Meursault là où il est. Je suis de ce monde de consommation, même si au quotidien nous essayons en famille de vivre sobrement et de façon raisonnable, là, mon entrée dans cette caverne d’Ali Baba dont le sésame s’appelle MasterCard, ressemble a un mauvais manège, centrifugeuse intellectuelle, neurones essorés… je n’ai qu’une hâte, sortir de là.
 
Sans surprise, les shorts cyclistes rembourrés a l’entre-jambe me catapultent dans mes années de sénilité incontinentes.
 
Je les remets en rayon.
Les gants trop petits.
Housses de selle… mi-figue mi-raisin pour ne pas dire poivre et selle… ok, j’arrête de raconter des salades.
Extraction de l’entre aux néons maléfiques réussie.
 
Promenade dans les rues de Linz… je ne la commenterai pas car je me sens dans une autre vibration et les seuls mots qui me viennent sont : joli, grand, beau et je vais vous épargner cette platitude car je sens bien que mon voyage est ailleurs.
 
D’autres racontent ces aspects-là bien mieux que moi… allez donc les lire.
Les villes ne me sont que des étapes.
 
Autre chose m’appelle.
Je ne sais pas encore quels en sont les contours exactes…
Je laisse l’esquisse des jours m’emmener vers mon dessein exquis.
 
Ce matin, en laissant mon vélo dans le garage à digicode d’Hannes, une dame me parle en allemand… je reconnais Apfel et lui exprime mes limites germanophones.
 
Elle continue alors dans un doux français qu’elle aurait étudié 63 ans plus tôt à Paris puis chez mes amis Belges à Louvain.
 
Inge, rayonnante octogénaire, me propose de faire de la compote avec les pommes tombées à terre.
Je lui explique que je ne suis que de passage, mon voyage, mes intentions artistiques semblent lui plaire tant et si bien qu’elle me propose de prendre un café chez elle.
Mais à ce moment-là j’ai la caverne d’Ali Baba et le mémorial a visiter et je décline cette si douce invitation.
Linz m’a laissé sur ma faim.
 
J’ai évité le musée d’art contemporain et davantage encore Ars Numerica, prestigieux centre audiovisuel dont les installations numériques sont précisément ce que j’ai plaisir à laissé derrière moi… du moins en ce moment.
 
Sur un trottoir, John McEnroe a jeté ses trophées bruyamment gagnés.
 
Je retourne chercher mon vélo chez Hannes et sonne à la porte numéro 7… chez Inge.
 
Nous passons quelques heures autour de tasses de thé et petits biscuits italiens à discuter de nos vies, de spiritualité, donc encore de moi.
 
Inge, veuve de Robert depuis plus de 9 années a cessé de travailler dès leur union.
Très occupé à élever ses trois enfants, elle m’explique que c’est en 1976 seulement que les femmes autrichiennes pouvaient enfin travailler sans avoir besoin de l’autorisation de leur mari !
 
Je n’ai pas le sentiment de l’apprendre mais cela me choque. 1976.
 
Cette femme brillante, ancienne interprète français allemand anglais et italien… au foyer, peut-être malgré elle… peut-être pas.
 
Depuis, le gouvernement autrichien encouragerait les femmes à avoir une activité professionnelle car il aurait même remarqué qu’elles sont plus efficaces que les empêcheurs masculins.
 
Je lui dit alors que je suis plus que convaincu que les femmes sont supérieurs a l’homme.
 
Qu’elles ne le savent peut-être pas encore mais les hommes oui. Ils le savent depuis si longtemps que par peur ils ont décidé de les oprimer, les brider et les empêcher de déployer leur toute puissance.
 
Cela semble faire briller une lueur dans son regard tellement bienveillant.
 
Elle a cherché une bassine d’eau chaude avec du sel marin pour que j’y plonge ma main aux doigts repliés. Puis une pommade aux senteurs d’une plante de son balcon.
Inge m’a également avoué qu’elle n’avait jamais invité un homme chez elle, encore moins un inconnu, mais que la confiance était là.
 
Pourtant, la peur elle l’a éprouvée il y a peu, avec un homme armé d’un grand couteau qui en voulait à son sac à main. “Mes enfants vont me gronder, me dit-elle, mais c’est ainsi, je suis bien avec vous”
 
Honoré par tant de confiance et de gentillesse je lui ai dit que moi par contre j’avais eu très peur d’elle, de son thé peut-être empoisonné, cette pommade au cyanure et qu’il ne m’avait pas échappé qu’elle avait regardé mon vélo avec trop d’insistance.
 
Puis j’ai ri.
 
Inge non.
 
Je crois qu’elle n’a pas compris ma blague… parfois j’en fais trop.
 
Échange d’adresses, photo ensemble, promesse de lui envoyer mon livre (oui j’y songe de plus en plus) mains dans la main qui se prolonge… je pars.
 
Je souhaite vraiment la revoir.
 
Mauthausen sera pour demain.
 
Je sors de Linz. Trouve un abri sous lequel déployer ma tente car l’orage approche.
Un camping fermé mais dont l’accès m’est accordé par le couple turco-roumain qui gère le restaurant attenant.
Douches WC évier
Byzance toujours et encore
 
Bonne nuit