Mulhouse Istanbul à vélo

Jour 12

🇦🇹 Linz +85km
8️⃣4️⃣0️⃣Km
 
Cette nuit j’ai bien cru que ma tente et moi allions prendre le large.
 
Ce fleuve me fait de l’oeil depuis mon arrivée en forêt noire… on se parle, on se murmure, on s’éloigne puis on se rapproche… un vrai couple.
 
Peut-être afin d’honorer ses regards en coins et en courbes, j’ai posé ma tente tout contre ses cils. Vraiment très près, et l’eau est à peine 40cm en contre bas. Je sais que c’est la règle numéro 1 du bivouac : ne jamais s’installer trop près de l’eau, en cas de crue, c’est la catastrophe… et c’est à ce moment-là que j’appelle un vieil ami : “L’adversaire d’une vraie liberté est un désir excessif de sécurité.” Jean De La Fontaine.
 
Il suffit de voir la photo au réveil.
 
Cependant… il n’empêche que je n’en menais pas large durant la nuit.
 
D’immenses péniches, la pense remplie jusqu’aux molaires, d’indécents bateaux de croisière, HLM de luxe remplis de poules et de dindons ayant massacré leur PEL, fendent le sommeil sacré du fleuve et provoquent moultes puissantes vagues.
Imaginez ce bruit de moteurs pour malentendants, ce bruit d’eau qui devient sévère, frôle vos oreilles et hésite à vous emporter tel que King Kong saisissait cette femme coton tige en haut de l’Empire State Building !
Ouf ! Je n’ai pas senti l’eau glacée glisser sous ma tente. Pas ce coup-ci.
 
Je m’endors.
 
Une autre énorme cage à poules flottante me fait remonter à la surface de ma nuit humide.
 
Vagues.
Dix vagues.
 
J’imagine mon abri de toile glisser tel le reflet d’un astre sur les eaux… j’aime l’image mais je suis assez éveillé pour comprendre qu’Archimede a d’autres talents que la poésie.
 
Puis La Fontaine lui tape dans le dos, donne un coup de pied dans ma tente pour me rappeler que je l’ai bien choisi et je m’endors à nouveau, bercé par le roulis immobile du Danube.
 
Linz m’appelle à tarte.
 
85 km à pédaler pour expier mon jeu de mot.
 
Je suis sur la rive droite et froide du fleuve, en Autriche. N’y voyez aucune allusion politique. La gauche est ensoleillée et allemande.
Je me sens comme à la file d’une caisse de supermarché. Est-ce la bonne. Ne devrais-je pas changer ? Et si je regrettais ? …bon je reste, on verra bien.
Je guette quand même le prochain pont, on ne sait jamais.
Le point positif, c’est que je n’ai pas chaud.
Emmener les presque 40 kilos (plus mes 82) à coups de pédales n’est pas une sinécure.
Le point négatif: ce n’est absolument pas plat ! La piste cyclable au revêtement de velours si agréable a ce défaut de suivre la route des voitures. Quand ça monte pour elles, ça monte pour nous autres bicyclettes.
J’en transpire quand même.
Du haut de cette pente, j’observe la rive gauche en contre-bas, et les sandales-chaussettes mulets et autres Rummenigge en roue libre sur les pistes plates et ensoleillées et sur leurs visages, un sourire en cinémascope.
 
Ha !
M’en fiche. J’aime avoir froid.
 
Puis j’ai faim.
 
J’ai quitté les herbes trempées de mon campement avec un no-brunch dominicale orné d’une seule banane.
La rive du Danube aussi appellée Eurovelo 6 est à la belle saison une autoroute pour cyclistes et autres voyageurs décarbonés.
 
Ainsi, les indigènes ont développés des filets à vélocipèdes. Stations de recharge de smartphone avec pièces à jeter dans la fente, stands de réparation de vélo contre quelques anciens deutschmarks, chambres à louer, buvettes aux tarifs en ébriété, normal normaux, bicyclette vélos. (Réf. Les démons de Jésus – Bernie Bonvoisin).
Je m’arrête donc dans un pit stop de pigeon voyageur pour me remplumer…
Des cigarettes… des cigarettes et des chewing-gum, rien d’autre.
– Etwas zu essen ? Bite ? Avec mon bel accent.
– Rummenigge ! Kum !
Je n’en crois pas mes oreilles… elle vient d’appeler le joueur de foot de mes années collège… peut-être même de ma primaire aux autocollants Panini que je collectionnais alors que je détestais le foot… mais fallait faire comme les copains français pour qu’il m’aiment aussi.
– Rummenigge !! Kum her !!!
Cette dame aux seins grands comme des montagnes autrichiennes posés sur le comptoir ne manquait pas d’autorité… mais Rummenigge a botté en touche et n’est jamais venu.
Un trou dans mon album panini.
J’en aurait bien mangé un, de panini, ou trois.
 
Une fille apparaît pour annoncer au Turkish Robinson Crusoé des pistes cyclables que nous ne sommes plus vendredi depuis 3 jours et que tout est fermé en Autriche…
 
Cigarette ou chewing-gum ?
 
– Bye bye ! (Ça veut dire ciao en anglais… merci Kansas of Elsass)
 
Je danse avec le Danube, il se joue des montagnes et je lui emboîte le pas. Un Corté par ici, un Habanera par là, après la gîte de la nuit, le tango du jour.
 
La route s’allonge mais je tire sur ses courbes et applatis les montagnes qui me cachent ce qui était la capitale industrielle d’Hitler à tel point que ce dramatique moustachus avait même songé à en faire la capitale de l’empire : Linz !
 
Le fleuve devient de plus en plus grand, il aboli la notion de distance et la voie qui le longe n’en fini plus. Je suis épuisé et mes forces vitales me quittent. Encore 1h30 de vélo pour rejoindre Hannes qui accepte de m’héberger ce soir-là.
 
Émilie m’encourage, notre fille m’envoie un message vocal qui me donne des ailes et j’entre dans Linz avec mon char à deux roues 20 minutes plus tôt que prévu par dame gépéhesse.
 
Hannes, grand voyageur à vélo de 70 ans me reçoit avec un goulasch préparé spécialement pour moi. Il a traversé l’Europe a vélo plusieurs fois en roulant pour la paix.
Nous parlons de dieu… du divin et forcément de moi. Mais le pieux nous appelle déjà.
Nous poussons tables et fauteuils et son salon devient ma chambre.
Encore une fois, cette journée était pleine d’autres découvertes et facéties… mais je me réjouis de les raconter contre de l’argent. Beaucoup d’argent (j’éclate de rire !)