Mulhouse Istanbul à vélo

Jour 23

🇭🇺 Hongrie
+ 45 km
 
Ágnes, Ildiko, György (sex-massage + bière)
 
Ce sont eux mes paysages du jour.
 
Depuis la France, ce voyage se dessinait comme une promesse à tiroirs.
Je ne pouvais qu’imaginer la myriade de choses que j’allais y vivre et parmi ces boîtes à ouvrir il y avait ce qui m’est le plus cher, les rencontres humaines.
 
Une voix suave, pleine d’authenticité et de bienveillance semble perdue lorsque je lui demande où est ce que le soleil disparaît et apparaît. Je lui explique que la position et l’orientation de ma tente en dépendent.
 
Du haut de ses longues jambes plantées au milieu du camping elle appelle celui qui maîtrise le dieu Ra. Je l’imagine dire qu’un farfelu pose des questions débiles.
 
Elle rit en hongrois… Oui j’ai quelques notions finno-ougriennes.
 
Je suis son regard coloré par le Danube et vois qu’elle parle avec cet homme, à 300 mètres de nous, gesticulant sur un axe est-ouest pour répondre à mon énigme solaire. Je l’entends à travers cette petite forêt et le téléphone d’Ágnes. Nous rions, en turco-hongrois, avec un léger accent Français.
 
Elle s’en va vers les cabines forestières de sauna fort prisés.
 
Tente a fenêtres panoramique dépliée avec une facilité déconcertante. Je l’adore. D’autant plus que Décathlon a copié la célèbre tente MSR dont je rêvais à la perfection, pour un prix trois fois inférieur.
 
Je suis le seul occupant du camping, je suis beau et drôle, j’apprends que mes mollets ont réellement été appréciés, j’en joue un peu en les contractant de temps en temps, le charme franco-turc dans toute sa splendeur.
 
Il ne me reste plus qu’à lancer un petit ” tomates-oignons-sauce blanche?”, agiter mes sourcils ravageurs et les femmes s’évanouissent.
 
Je ne cherche pas à séduire, je suis séduisant. (Être pince sans rire c’est bien, mais sur ces mots, j’ai quand même éclaté de rire. Mauvais acteur)
 
La nuit est fraîche et humide. La toile extérieure de ma maison de 1.9kg et les alentours sont trempés. Mais mon confort est excellent. Tapis de sol et matelas gonflable isolants, oreiller avec emplacement pour les deux oreilles, sac de couchage en plumes de phénix, je dors comme un pacha.
 
Je me réveille, je me bouscule, je ne me réveille pas, comme d’habitude.
 
Ilgi, l’amie cyclo-voyageuse boulimique de vélo est déjà là. Elles hongroisent entre elles là-bas à l’accueil avec Ágnes aujourd’hui moulée dans une peau de serpent.
 
La veille au soir, j’ai montré a Ilgi l’application pour trouver des hôtes lorsqu’on voyage en deux-roues. La géolocalisation pointe György, le seul dans la région. Soudain, elle se met à bondir en hongrois, des petits sauts que j’interprète comme exprimant une joie incoercible. Cette langue est vraiment trop simple à comprendre.
 
C’est son meilleur ami, lui aussi vélovore.
 
Un coup de fil mitraillé de gaité et nous sommes invités à bruncher avec lui dont je n’imagine pas encore combien il est drôle et touchant.
 
Ilgi, le coeur dans les yeux, infirmière en Autriche, sors de sa sacoche de vélo le drapeau rouge blanc vert ainsi qu’un deuxième encore plus joli. Ágnes m’explique qu’elle vient de faire broder pour son vélo.
 
Malgré ma gêne à le recevoir, elle insiste énergiquement pour me l’offrir.
 
Boum dans mon coeur.
 
Ce même soir elle veut m’inviter à manger.
“Un cycliste invite toujours à manger celui qu’il rencontre !”
 
Mais j’ai déjà savouré mon menu de cosmonaute et j’ai besoin de temps pour écrire… alors on se reporte au brunch.
 
Revenons au matin, où à force de me bousculer, Claude François m’a expulsé hors de ma tente.
Mes deux acolytes sont là.
 
Du haut de son mètre quatre-vingt, Ágnes me propose un café, ilgi est habillée en mère noël !
 
Elle sort de sa hotte :
– Un drap de bain pour essuyer la sur-toile de tente et commence à la sécher alors que je suis encore en caleçon avec vue sur mes mollets ET mes magnifiques cuisses.
– du W40 et une burette d’huile.
– des barres énergisantes.
– des sachets de vitamines pour sportifs
– des gélules (pas bleues !)
– de la pommade et du talc pour les fesses !
 
J’ai beau essayer de dire “non, merci infiniment” elle insiste.
 
Nein, nein, nein ! Das İst für dich !!!
 
Je parviens cependant à lui laisser ces produits fessiers en lui montrant que j’ai de quoi m’occuper de mon popo que je tapote pour mieux me faire comprendre.
Là je me tourne et me cambre pour lui dire que si elle veut absolument me mettre du talc aux popo, elle le peut.
Éclats de rire en trio.
– un verre de schnaps ! Beruzochka.
I
l se porte comme un collier et se tient par deux ficelles latérales pour boire sans même toucher le verre. C’est très drôle !!!
 
Rires et embrassades de départ, déjà l’envie de revenir.
 
Ildi et moi partons à vélo retrouver Gryörg et savourer des Làngos (lanngoche). Ce célèbre beignet géant.
Gryörg nous rejoint à vélo jusqu’au buffet.
 
Septuagénaire lumineux, gorgé de soleil, regard d’acier et plein de malices, drapeau du Népal tatoué sur son mollet gauche, globe terrestre sur le droit… il a déjà parcouru des dizaines de milliers de kilomètres à travers le monde.
 
L’année prochaine, pour son anniversaire, ce sera l’Iran !!!
 
Làngos nature pour eux et le maxi-Làngos pour le jeune turc ! Beignet de la taille d’un 33 tours, crème, fromage blanc, poulet… une sorte de tarte flambée gonflée a l’huile !
 
Délicieux !
 
Nous communiquons beaucoup avec nos traducteurs de smartphone. Je dicte et c’est aussitôt traduit oralement.
 
Ilgi est allé chercher quelque chose et Gryörg me demande par écrit sur je veux un massage thaï.
– J’adore les massages et en ce moment j’en ai vraiment besoin… mais la route m’appelle.
Il me regarde avec l’intensité d’un Pablo Picasso et répond :
– sex massage !
 
J’éclate de rire et lui tape sur la cuisse.
– je te l’offre.
– hahahaha, tu es incroyable !
– c’est à 300 mètres.
 
Je ris de plus belle.
– maintenant ! C’est moi qui paye.
– tu es adorable Gryörg, mais non merci.
– moi j’y vais, c’est super !
 
Et il ajoute :
– Un jour on m’a offert ça à Samsun (Turquie) et je veux le rendre, à toi.
– ça me touche fort mon ami, mais je ne peux pas, merci beaucoup.
– moi je roule à ça. Sex massage + bière+ vélo ! Rien d’autre !
 
Et nous éclatons de rire, encore et encore en nous tapant sur l’épaule comme de très vieux amis.
Ildi nous a rejoint, les Lángos sont là, délicieux… je lui parle de ce cadeau proposé par Gryörg et rions encore… elle connait la bête. Il assume totalement ses passions.
 
Soudain Ildi pousse un cri en montrant du doigt mon vélo.
Le drapeau turc n’y est plus !!!
Il a dû se décrocher pendant le trajet camping-ville… 5km.
 
J’en suis bouleversé.
Elle aussi.
Gryörg tout autant.
 
C’est mon compagnon de route, ma boussole affective, ma promesse, ma fierté.
Le mât offert par Martial est tout nu avec le drapeau tricolore devenu orphelin à mi-hauteur.
Ildi, nous confie ses sacoches, saute sur son KTM et fonce sans hésiter une seconde refaire les 10km de trajet aller retour.
Gryörg me tend les affaires de son amie, me dit de terminer mon Làngos et file chez-lui !
Àgnes, alertée par téléphone, m’écrit qu’il n’est pas au camping où elle a cherché de son mieux.
Ildi revient avec un visage que je ne lui connais pas. Son sourire est à l’envers. Son front en sueur, ses yeux parlent d’eux-mêmes.
Envolé.
 
Dans mon coeur j’ai l’habitude de toujours laisser une place aux possibles… je le retrouverai, me dis-je.
Gryörg apparaît alors, le drapeau turc à la main. Il ne l’a pas retrouvé, c’est le sien !
 
À 1500km de Mulhouse, en Hongrie, je suis avec l’homme qui est déjà allé à Istanbul à vélo, en a rapporté le drapeau, et il me l’offre sans hésiter une seule seconde.
 
Mon bras gauche sur ses épaules, ma main sur son coeur, je le remercie chaleureusement puis le serre dans mes bras.
 
Puis Ildi, dont les yeux brillent à nouveau, les miens sont pleins de gratitudes lacrymales.
– DU CAKE !!!
 
Maintenant on doit manger du cake ! Cri Ildi.
– OUI c’est ça, allons lui faire manger du cake, ajoute mon Picasso voyageur.
 
Je suis plein comme un oeuf, mais allons manger du cake !
La pâtisserie est à 10 pas du buffet aux Làngos. Vitrine de bijouterie pâtissière, nous sommes comme des enfants dans un magasin de jouets… miaaaam !
 
Framboisier à la crème !
 
Nous rions, parlons voyages, Gryörg veut vraiment que je reste jusqu’au lendemain.
Nous regardons les cartes et les routes… ils les connaissent toutes.
 
Il veut venir à Istanbul avec moi. Retraité mais gérant d’une animalerie, il ne le peut pas.
 
Je sens dans ses yeux pleins de vie, la tristesse de celui qui manque le dernier train vers son amour.
Viens je lui dis. Tu auras des sex-massages sur la route et de la bière.
 
Les trois têtes basculent encore une fois en éclats de rires qui se terminent en petits soupirs sèches-larmes.
– reste mon ami.
 
Je leur explique que je suis attendu à Istanbul et à Edremit pour des rencontres et conférences sur mon voyage… que je ne peux encore donner de date précise mais que je ne peux tout décaler non plus.
 
Je les prends dans mes bras et remercie encore pour l’énergie et l’amour qu’ils me donnent… je me sens déjà en Turquie.
 
Je leur promets aussi de revenir. Budapest m’appelle et eux aussi. Ils sont d’ores et déjà dans mon livre et que je viendrai leur offrir en main propre.
– Je suis vieux, dit Gryörg… je ne serai plus de ce monde, me dit-il en mimant un homme qui creuse un trou.
– Tu es beau et fort comme un diable qui va aller en Iran à vélo en écumant tout les salons de massages et les bars à bières… tu dis des bêtises !
 
Et tu viendras chez moi en France !
– je ne voyage jamais vers l’ouest Bekir, toujours vers l’est.
 
Accolades, embrassades, émotions fortes.
Salut mon Gryörg !
 
Ildi, veut me lancer le long du Danube sur 20km.
Elle ne sait pas bien compter Ildi. Ou plutôt, elle ne compte pas, elle donne !
 
Avec la candeur de l’enfant, à chaque panneau Eurovelo 6, elle s’écrit en allemand et en le montrant du doigt :” Eurovelo sèches!”… que c’est son amour à elle.
– Ahaaa ! Eurovelo sex , lui dis-je en riant.
– na-neiiin ! Sechs ? Sechs !
 
C’est 45km plus loin, après des pauses où elle a encore insisté pour m’offrir des boissons, chocolats, un repas, “c’est notre pays ici, et chez nous quand on reçoit quelqu’un, on lui offre tout, tu es notre invité un point c’est tout”, je parviens enfin à lui dire de rentrer avant qu’elle n’ait à rouler de nuit. Ça lui fait une journée à presque 100km mais le bonheur de ces paysages infinis, ces routes dont on ne voit pas la fin, le silence du monde, la joie de pédaler à la force du coeur, ensemble… le reste ne pèse plus grand chose.
 
Accolades, embrassades, émotions fortes.
 
Salut ma Ildiko !
 
On se reverra aussi, en France ou ailleurs.