Mulhouse Istanbul à vélo

Jour 29

🇸🇰 Serbie +80km
 
Mes publications prennent du retard car je privilégie mon sommeil.
Je dévale les pentes de la capitale Serbe et tourne un peu en rond sous les trois niveaux de routes qui embrouillent madame GPS.
Au dessus de mon casque, sur ces jambes de béton, deux autoroutes se croisent et c’est sur l’une d’entre elles que je devrais être.
Point de sortie sans pédaler sur les voies royales des voitures… c’est risqué, et forcément cela m’attire.
Je n’ai aucun élan suicidaire…mais avec une bande d’arrêt d’urgence assez large, pourquoi pas ?
J’allume le flash rouge à l’arrière de mon casque fluo… et à bas les interdits !
 
En réalité, je m’y sens plus en sécurité qu’en ville ou sur des routes nationales . Les camions passent à 4 mètres de mon auriculaire gauche.
 
Je chante à tue tête “Highway to hell” d’AC/DC et sur les routes suivantes “Feel” de Robbie Williams et son couplet “I don’t wanna die”, elles sont plus étroites, aux contours incertains, trous et autres fissures éprouvants mes pneus. Cela m’oblige à faire un écart vers les voitures, ou alors à foncer dans les herbes hautes le temps de laisser passer la tempête mécanique.
 
Je n’ai pas aimé Jason cette nuit. La nuit précédente non plus. Ce Londonnien fort distingué est mon voisin de chambre à l’auberge.Son vibrato nasal a vraiment exagéré. Comment le doux souffle du sommeil peut-il produire autant de vacarme ???
 
Je suis capable de me laisser bercer par des bruits, y compris un ronflement, mais là, même un exorciste expérimenté aurait pleuré, morve au nez, dans les jupes de sa maman. Jason, petit anglais chauve et adorable, à la voix presque inexistante, traverse la nuit avec des guturales sataniques de magnitude 20.
 
Je secoue son lit, lui enfonce sa chaussette dans la bouche, une autre dans ses narines… je trouve cela assez joli mais rien n’y fait.
Je tente avec son pantalon, ses chaussures, tout y passe, imperturbable, il continue.
J’ai envie de rire.
C’est Jason et les ronflonautes.
 
Nuit gris clair… presque blanche.
 
Le vent est mon copain, mes muscles aussi.
 
Malgré ce petit sommeil mes jambes poussent sur les pédales comme des pistons. J’ai le sentiment que le bas de mon corps est devenu une machine autonome. Un peu comme dans la salle des machines d’un paquebot. En haut, le capitaine ordonne d’avancer 20 km avant le prochain ravitaillement, sans broncher, le moteur suit.
De longues traversées arides ponctuées de villages discrets, avec des maisons basses se suivent et se ressemblent. Sur les arbres et poteaux électriques, les affiches A4 des avis de décès.
Cela m’impressionnait fort quand j’étais enfant et que nous traversions l’ex-Yougoslavie avec la caravanne.
Des photos de morts !
Dans mon imaginaire, nous traversions des villages de fantômes.
Maintenant, c’est un regard tendre que je pose sur ces visages en noir et blanc.
 
Les attaques de chiens ont commencé.
 
Ils ne sont pas encore trop grands, mais leurs crocs et mes mollets n’iraient pas bien ensemble, j’en suis convaincu mais ne parviens pas à leur expliquer. J’aboie en français, en turc, en anglais, en allemand et en italien puis je me lève sur les pédales pour leur échapper.
 
J’ai aussi essayé de descendre du vélo pour qu’ils se calment. C’est un pari risqué mais il fonctionne. Dans ma tête je me répète :” ils sentent la peur, pense à quelque chose de joyeux, ne montre pas que tu es effrayé, ordonne a tes poils de se coucher, ne le regarde pas dans les yeux…”
Je suis mauvais comédien, il m’attaque quand-même.
 
Je crie plus fort que lui, comme si je m’étais fait électrocuter, sans contrôle aucun. Je suis ridicule mais le chien s’en va.
 
Personne ne me connait ici, le charisme peut en prendre un coup, ce n’est pas grave.
J’arrive sur des collines sèches. Des sortes de dunes, d’ailleurs la terre ressemble à du sable. C’est inattendu et magnifique.
 
C’est là que je croise John Wayne.
– Ton Cheval Bleu est trop chargé !
– Oui mais je vais vers l’est, en Asie Mineure.
– Tu es bien courageux jeune voyageur.
– Merci, je suis un cowboy comme toi, mais sur un vélo.
– Moi aussi je suis à vélo maintenant, mais dis le à personne. Ce sera notre secret.
– Yep ! Facebook et Instagram ça compte ?
– Non, personne ne lit plus rien, ils ne regardent que les photographies couleur, tu peux même y écrire qu’il est électrique.
– Je t’ai admiré dans tellement de western, John.
– Merci petit turc, savoure ces grands espaces, campe là où tu voudras, et tâche de trouver du wifi à chaque fois !
– Du wifi Wayne ? Mais…
– il n’y a pas de mais ! Trouve du wifi et continue de publier tes récits. Moi je les lis !
Depuis la Serbie je me sens en effet très cowboy voyageur… j’en parlerai demain.
On m’a souvent dit de faire attention, que les Serbes n’aimaient pas trop les Turcs.
C’est faux.
 
Ils sont accueillants, partageurs, chaleureux, évoquent les points communs entre les deux pays et l’expliquent avec les nombreux siècles d’occupation ottomane.
Nataşa
Miroslav
Nemanja
Une caissière
 
Merci à eux pour m’avoir offert le repas de midi, les boissons en terrasse, une partie de mes achats alors que je manquais de dinars.
Merci à ces anonymes en voiture ou dans la rue, qui me saluent en criant “merhabaaaaaa”.
Merci à Dragan, qui m’a reçu dans son jardin avec ma tente. Sa douche serait une conception de Tesla en personne. On allume le chauffe-eau avec ce bouton, la lumière avec tel autre, et pour se laver, c’est lumière éteinte, dans le noir sinon il y a risque d’électrocution !!!
 
Ses paroles, dans son anglais des Balkans :
“Don’t talk with people = world too big
Talk with people = world small and easy…
You way very good ?”