Mulhouse Istanbul à vélo

Jour 31

🇸🇰 Serbie +75km
 
Exceptionnellement, je vais être télégraphique.
 
Mes publications ont 2 jours de retard et il m’est inconfortable d’écrire en différé.
Je mettrai à jour plus tard
 
Seuil des portes de fer, côté Serbe du Danube.
 
Les photos ne sont pas trompeuses, le lit king-size du fleuve peut faire penser à la mer ou a un immense lac. À sa surface, de belles vagues en guise de chair de poule, mais ça, c’est l’effet de mon incoercible charisme.
Parmi les changements qui s’opèrent en moi depuis le début de ce voyage il y en a un qui relève de la mutation.
 
Moi qui n’ai jamais eu ni le mental ni les jambes pour affronter du relief à vélo, je me surprends à rouler très facilement sur du faux plat… à entamer des montées avec acceptation et patience. Quant à mes jambes, elles ne sont pas sur un escalator mais s’en approchent.
 
Mon coeur, lui, ne réfléchit pas, il m’aime.
 
Deux vaillants sexagénaires passent à vélo pendant une de mes pauses.
Déguisés en cycliste, vélos chargés je devine qu’ils sont de la partie.
 
L’un s’exclame inquiet et me demande s’ils sont bien sur l’eurovelo 6.
 
Afin de m’assurer que mon horrible accent français ne l’induise pas en erreur, c’est pouce en l’air que je crie :” hiaisse ! Dissize heurovélo siqusse, goude leuque touyoutou!!!”
 
J’ai failli ajouter “St Tropez”.
 
Les cyclo-voyageurs sont tellement rares en cette saison que je ne veux les laisser filer.
 
Le lance mon Cheval Bleu à leur poursuite et entame la conversation avec Bruce.
 
Après les “tu viens d’où / tu vas où / combien de temps” d’usage, je sens une connexion avec nos folies communes.
 
On roule un peu ensemble, ils s’arrêtent pour brancher leurs éclairages et je pars devant.
 
C’est le début des tunnels noirs et humides dans le ventre de ces montagnes serbo-roumaines.
 
Face à moi, la route se met sur la pointe des pieds.
 
En Serbie, les pieds sont très grands, alors comprenez que cela commence à monter sévèrement. Je m’arrête pour retirer mon coupe-vent et mes charmantes victimes du Brexit entamment l’ascension.
 
Je vais les rejoindre, ça sera facile ils ont au moins 10 ans de plus que moi.
 
Pete, cheveux d’argent sous son casque solidement vissé, imperturbable, fend l’air en tête, Bruce colle à sa roue et moi a la sienne.
 
Pente à 10%
 
L’eau de mon corps quitte le navire par tout les pores… je perle jusqu’au bout du nez, et ces diables grisonnants s’éloignent !
 
Leurs muscles ont la mémoire de leur vie sportive.
 
Je maintiens l’effort mais comme avec ce vieux Tibor, la distance grandi sans politesse à mon égard.
Maintenant je suis seul, à nouveau.
 
Confronté à mes ressources face à ce serpent d’asphalte qui ne cesse de danser vers les nuages, sur la 11e et dernière vitesse, je souffle, admire ce que ce monde m’offre de magnifique, j’évite de regarder mon compteur de vitesse… je le regarde quand même, 7km/h…
 
Les camions montent et descendent lourdement. 2 chauffeurs, font le signe de croix en me croisant.
 
Puis la ligne d’horizon se dessine enfin !
Je ris,
Je cris de joie
Je suis heureux et fier.
Toutes les récompenses sont là.
Intérieures et extérieures.
Le paysage est fantastique, le Danube brille comme le flanc d’un thon géant aux écailles miroir.
 
Je me sens au sommet du monde et de moi-même. Je sais qu’il ne s’agit là que d’une première marche… là bas, le reste des portes de fer me regardent, mais je jubile et savoure ce moment.
 
61 km/h
 
C’est la vitesse euphorisante de ma longue descente, menton sous le guidon pour fendre l’air malgré mon chargement, je sens mes oreilles se boucher tant le changement d’altitude est brutal.
 
Le souffle a fait littéralement sécher mon t-shirt.
 
Plus loin, j’entre dans un village pour m’offrir la récompense ultime, une glace, et je vois Bruce qui me fait des signes pour les rejoindre, lui, Pete et Hanna Herbert, un couple Autrichien qui arpentent eux aussi l’Europe a vélo.
 
C’est très joyeux de rencontrer d’autres voyageurs à rayons.
 
On s’échange nos coordonnées, comptes insta et Facebook… puis Bruce et Pete m’invitent dans le grand appartement qu’ils avaient loué. J’en ai même oublié ma glace !
 
La douche salvatrice, ma chemise des grands soirs, je me sens beau, fort et plein de joie.
 
Nous discutons de nos familles, de nos folies, partageons biscuits et chips puis je me plonge dans mes photos et récits.
 
Le téléphone me tombe des mains, je finirai au levé du soleil.
 
Bonne nuit.
(Bon, je n’ai pas réussi à rester télégraphique)