Mulhouse Istanbul à vélo

Jour 9

🇩🇪 Bad Abbach 10km avant Regensburg
65km
 
Hôtel du matin
Bivouac du soir
 
Cette nuit aura été fort réparatrice.
 
Ce matin je me sens en pleine forme.
Mon service d’ordre a mis dehors les squatteurs de la salle d’attente des douleurs.
Il me semble aussi que mon chamane de poche, y est pour quelque chose… je sens qu’il m’a rechargé en énergie en bluetooth.
 
Je puise aussi dans une routine d’hypnose sportive reçue de Martial Chevalier le bien nommé dont je parlerai prochainement. Cela déclenche une salve d’endorphines que j’accueille allègrement.
 
Une autre chose me met en joie, c’est la décision de faire un bivouac “sauvage” en fin de journée. Cela démultiplie le sentiment de liberté et de toute puissance dans ce monde.
 
C’est élémentaire, mais savoir que je vais rouler jusqu’où je le veux, que je vais pleinement choisir l’endroit de mon campement, avec pour seuls critères : la beauté, le plaisir, le bon moment, tout cela me rend euphorique.
Je dois cependant veiller à être discret car le bivouac (poser sa tente le soir et repartir tôt le matin sans laisser de trace de son passage) est interdit sur tout mon parcours à travers l’Europe. Seuls la Hollande et le Danemark le permettent a certains endroits.
 
L’arrière d’une ferme… une alcôve verte entre des arbres, le coin d’une prairie, l’épaule d’une bosquet… autant de tentations mais je ne sens pas encore l’appel… le signe du ventre qui dit OUI, c’est là-bas, vas-y !
 
Je demande à quelques jeunes… au tenancier d’une taverne bavaroise… ils m’orientent tous vers des campings… non… je préfère la nature et je continue.
 
Une colline d’au moins 100 mètres de haut m’intrigue. Envie de grimper sur son ventre dont je sens la Chaleur. Je sens que j’ai trouvé chaussure a mon pied mais qui dit chaussure dit lacets ! J’en compte 8… mon palpitant tambourine et fait vibrer mon t-shirt.
 
Je descend de mon cheval bleu et le pousse.
 
J’ai mal mais je sens que c’est juste. La haut ce sera joli.
 
Les allemands dînent a 18h00.
Personne dans les rues ni même dans les jardins. Un calme d’outre Rhin.
La couleur du ciel me pousse à accélérer le pas… je veux border le soleil… Cadeau pour ceux qui ne sont pas devant leur TV.
Ce sommet est ma récompense. Spectacle pyrotechnique dans les cieux, panorama souriant et mes quartiers sont là.
 
Trop tard pour cuisiner… ce sera pain allemand, beurre aux fines herbes, tomates cerises et jus de carottes.
Avec ce voyage, plus que jamais,
 
Je crée mes journées.
Je crée mes nuits.
Je crée mes douleurs et mes doutes.
Je crée mes forces et mes joies.
Je pense profondément à ceux que j’aime et m’accompagnent dans ma vie…même ceux d’une minute…
Je pense à mon père qui cette nuit va nous quitter. C’était il y a 3 ans mais c’est maintenant.
Je ris et je pleure.
J’ai de la gratitude et aime ma vie.
Je la trouve bonne avec moi.
 
Florent, mon frère de coeur m’a dit un jour:
“Quand on n’a pas ce qu’on aime… on aime ce qu’on a”.
Je crois que j’ai tout.
 
Les allemands se préparent à voter et je ne cesse de croiser des candidats en papier.
Ma favorites est dans ces photos du jour. Sans doute que sans même la comprendre ses propos l’enlaidiraient a mes oreilles, mais pour une photo de campagne… on y est bel et bien, à la campagne.
 
Mon autre favorite est celle des 4 qui font un burger avec leurs mains.
– moi je mets le pain !
– moi c’est la salade !
– et moi la viande !
– moi je mets le pain par dessus !
Pas très appétissant non plus… mais drôle… mais pas bon… mais drôle.
 
Emin, sourire ravageur…voix chantonnante yeux étincelants rêverait de mettre entre parenthèse sa vie de famille ses trois affaires de döner kebap et partir à l’aventure à vélo ou autrement a travers le monde.
La mélodie de la joie résonne dans ses questions et il me touche au coeur.
Avec pudeur et précaution il me révèle être Kurde et je me sens obligé de le rassurer.
Sa famille toute entière a saigné de douleurs 5 années durant lesquelles sont jeune frère aurait été arbitrairement jeté en prison.
Il venait de commencer médecine.
Brisé, il aurait été relâché avec pour seule explication ” nous nous sommes trompés”.
 
Je pense à ce temps de vie que le COVID a volé a mes enfants… lui… c’est 5 années.
 
Je traverse villages, champs et collines, forêts et prairies… bois des litres et des litres d’eau…reçois la bénédiction (enfin j’ai cru que c’était cela) de familles qui remplissent mes gourdes… mon appareil photo embrasse ces beautés… Oscar, Simon, Ruth… m’encouragent et me saluent…
 
Les mulots, cigognes, lièvres, libellules, canards, chèvres, lézards ne disent rien.
Ils s’en fichent de mon voyage… ils vont déjà où ils veulent et quand ils le veulent.
Il semblerait qu’on ressent mieux l’énergie de la terre quand on dort sous tente.
 
Je me demande ce qu’il y a dans le ventre de dame colline.
Je vais tâcher d’en rêver.