Mulhouse Istanbul à vélo

Jours 19 et 20

Pluie non-stop
 
🇭🇺 Tatabanyá Hongrie
+134 km
 
L’Arsėne Lupin du camping hongrois a frappé !
Du haut de mon inexistante expérience de cyclo-voyageur je peux affirmer ceci: il est extrêmement satisfaisant de savoir qu’on est maître de l’espace et du temps.
L’heure et l’endroit où je m’arrêterai pour la nuit ne dépend que de moi.
Mon état de fatigue, la beauté d’un coin, une opportunité, l’appelle mystique vers un sentier ou une colline… tout ceci pèse dans la balance de la liberté.
 
Maike, mon hôte de Vienne, celui aux pouces décapsuleurs d’orbites oculaires, m’avait prévenu qu’en Hongrie :”les fucking commerces ferment trop tôt !”
 
Il m’avait aussi dit qu’après Bratislava il fallait plutôt prendre la rive droite du Danube, que son revêtement était bien meilleur… il avait “fucking tort !!!!!”. Du gros gravier dans lequel les roues s’enfoncent ! Et avec 40 + 81kg à faire avancer, l’hongrois qui a versé cette épaisse couche de gravier n’est pas mon ami… Maike non plus.
Le soir tombe…j’ arrive donc devant le haut portail grillagé d’un camping accoudé à une nationale. Il n’est pas fermé à clef mais résiste. Ma force turque est légendaire et je parviens à pousser seul ce rempart à charnières.
 
Pas une âme qui vive.
 
Je pose un genoux à terre et ramasse un peu de terre pour la sentir.
 
La dernière diligence a dû passer par là il y a 3 mois et 2 jours.
 
Une toile d’araignée bâclée me dit qu’il va bientôt pleuvoir.
 
Je lève une jambe et saute à cloche pied en penchant la tête sur le côté. Non, ce n’est pas pour chasser les mauvais esprits, Il me restait un peu d’eau de mer de cet été dans l’oreille gauche.
 
Je tourne sur moi-même. C’est vraiment désert.
 
Deux algeco singent des bungalows et je comprends qu’il s’agit de sanitaires.
 
Miracle numéro 1, leurs portes ne sont pas verrouillées.
Miracle numéro 2, lavabos, douches, WC, prises de courant !
Miracle 3, c’est archi propre.
Pas-miracle suivant : ni d’eau ni d’électricité.
 
Parmi mes 147 formations il y a celle d’ électrotechnicien, il y a 1000 ans. Elle me permet de suivre les gaines de courant jusqu’au tableau électrique. Fusibles, disjoncteurs, commutateurs de puissance… j’enclenche.
Pas-miracle suivant : ça ne marche pas.
 
Je ne me laisse pas faire et le petit Bekir toujours optimiste sort et suit les câbles à l’extérieur. Ils plongent et disparaissent dans le sol.
 
Qu’à cela ne tienne ! La tranchée creusée pour enfouir les conduits est perceptible…l’herbe n’a pas totalement repoussé. 50 mètres plus loin je tombe sur un autre boîtier électrique !
 
J’enclenche encore.
 
Miracle 4, derrière moi la lumière dans les sanitaires s’est allumée.
 
J’y ouvre le robinet, branche mon téléphone à plat : avalanche de miracles, tout fonctionne.
 
Un sentiment de fierté me traverse.
 
Dans cette ambiance à la “walking dead”, j’entends des voix d’hommes. A présent je les vois: des indigènes hongrois ! Ils cherchent quelque chose.
 
Je rentre un peu la tête dans mes épaules… 1er réflexe un peu ridicule pour ne pas être vu.
Je suis quand même entré par effraction dans un lieu privé, en Hongrie, et personne ne sait où je suis pendant que ces 2 hommes en tenue de chasseur et armés tournent autour du camping sans me voir.
Le casque fluo et les drapeaux sur le vélo n’assurent pas une très bonne discrétion. Je les dispute un peu d’être si excentriques dans un moment pareil, remue mon index pour marquer ma désapprobation puis cache le vélo entre les algecos.
 
D’accord, les deux hongrois sont armés …que de cannes à pêche… c’est une arme de chasseur quand même !!!. Je ne suis pas du signe du poisson mais ça peut faire mal.
 
Attentif à chaque sons, je monte ma tente sous un Barnum un peu déchiré, avec la discrétion d’un enfant qui la nuit traverse la maison pour prendre en cachette du chocolat dans la cuisine… avec le bruit des pieds nus qui collent sur le carrelage.
 
Sur mon réchaud à gaz je cuisine du riz mélangé à du concentré de tomates en tube.
Je dois me rappeler de mettre une très mauvaise note au restaurant de ce camping.
Je cache même la flamme du brûleur pour que personne ne me remarque et me mette dehors… enfin, encore plus dehors.
 
Miracle 5 ou 6 je ne m’y retrouve plus, les chauffe-eau ont déjà produit de quoi me doucher confortablement !!!
 
Je m’éclaire avec la lampe amovible de mon casque, termine ma vaisselle et range tout pour être sûr de partir très tôt le lendemain sans me faire voir.
Un mélange de stress et de malice m’habite.
 
J’ai laissé ma tente sans toile extérieure pour être sûr de voir à 360°.
La respiration froide de la nuit arrive.
 
Mon sac de couchage 0° m’inspire confiance et je disparais dans ses plumes.
 
Une araignée ne s’applique à tisser sa toile que lorsqu’elle sait qu’il ne pleuvra pas dans les jours qui viennent… sinon, elle gribouille vite fait car elle sait que les gouttes d’eau vont l’abîmer et qu’il faudra tout refaire.
 
L’arachno-meteorologue a l’entrée du camping avait raison. Le vent s’est mis en colère et les nuages, friands de ses accès sont venus le regarder pester tout en se déversant aux alentours.
 
Merci le barnum. Je traverse la nuit dans un demi-sommeil et au sec.
 
1ere journée aussi fraîche commence.
 
Pluvieuse au début mais dopée par un vent de dos, je roule vite… très vite.
Un Chadouf en bord de route !
 
Mon prof d’histoire du collège Jules Verne, sa barbe et ses cours sur la Mésopotamie me reviennent à l’esprit émerveillé.
 
Je le trouve beau et intelligent, le Chadouf.
 
Les châteaux d’eau hongrois en forme de sucettes ! J’adore.
 
J’ai pédalé 134km aujourd’hui.
 
Tatabanyó.
 
Ville immense et laide comme les talons en corne fissurées d’un clochard sans chien ni chaussures.
Je mets des heures à essayer d’en sortir mais sa banlieue s’étend jusqu’à des kilomètres du centre.
 
La pluie reprend pour durer 24 heures non-stop.
 
C’est une araignée qui me l’a dit.
 
Je n’ai rien à expier, je ne suis pas masochiste ni adorateur des vêtements trempés de la tête aux pieds pendant 10h (sauf aux concerts des Eurockéennes de Belfort… souvenir de David Bowie a 1h00 du matin).
Je décide donc de rester au sec jusqu’au lendemain. Les araignées préparent déjà de magnifiques toiles.