Mulhouse Istanbul à vélo

Jours 37 et 38

🇧🇬 Bulgarie >Sofia
 
Le ventre rond des Balkans sera mon lit pour la nuit qui arrive.
Ma tente posée à la pointe de son nombril, je suis assuré que le soleil touchera la toile de ma maison de poche dès l’aube.
 
La nuit fut courte.
Glaçante.
 
Emmitouflé dans mon sac de couchage (pourtant prévu pour du 0°), sa capuche serrée sur mon visage, sous-vêtements longs et chaussettes en laine mérinos, doudoune… matelas gonflable isolant plus tapis isolant…
 
Ne pas bouger.
 
Chaque nouveau centimètre carré touché est un glaçon.
 
Je sens que ce sac de couchage ne s’entend pas avec Morphée et je m’en amuse. Je ri de moi et de cette forme de précarité choisie.
 
En pleine nuit, le sors arroser les herbes sèches et suis ébloui par la noirceur du rideau de la nuit. Nez en l’air, je promène mes yeux dans une myriade de trous d’épingles célestes. Jamais la nuit n’a été aussi profonde, et gelante. Je tremblotte et hélas ne peux en profiter davantage.
 
Je retourne dans mon boyaux de plumes.
 
Mon Cheval Bleu, dressé a 1500m d’altitude, veille.
 
J’avais pris soin d’éloigner du bivouac ma sacoche avec les vivres. C’est un des conseils reçus pour garder à distance les ours qui seraient attirés par la nourriture.
 
Moi si j’étais un ours je mangerai plutôt le turc aux cuisses bien fermes… Une boîte de sardines à ouvrir ou un paquet de pâtes me sembleraient moins attirants.
 
Sommeil sporadique.
 
Courbatures liées au froid.
 
J’ai connu mieux, mais c’était exceptionnel quand même.
 
Après quelques cuillerées de müesli que les ours n’auront pas eu, je décide de continuer par ce chemin de pierres, rochers et sable.
 
C’est justement sur ce tronçon ensablé que je reconnais les empreintes de pas de la famille ours ! Ils devaient avoir le nez bouché.
 
Les pentes et pierres font glisser les pneus. Tout tremble. Les montées se font à pied.
 
Je suis à l’autre bout de l’Europe, au sommet d’un pays et plus loin encore. Tout est sauvage et mes oreilles entendent mieux que jamais. Le bruit du moindre oiseau, rongeur ou insecte vibre en moi alors même que mes yeux ne le distinguent pas encore.
 
Je m’arrête régulièrement pour faire des images… Ces sommets me sont doux et me transportent dans des films d’aventures dont je serai le héros.
 
On s’habitue aux chemins accidentés et la vitesse augmente dans les descentes. Les sauts du vélo et les vibrations deviennent acceptables jusqu’au moment où contrôler les 140kg lancés dans une descente à 10% devient impossible. La roue avant dérape, face à une bifurcation surprise.
 
Je vais tomber… Le vélo bascule et commence à se coucher, la poussière monte et alors que les sacoches frottent contre les rochers je rattrape tant bien que mal ce lourd cheval et CRAAAA ! Je me coince le dos dans un cri qui déchire l’air et mon moral.
 
D’abord je refuse la blessure. Je lui ordonne de disparaitre sur le champs… Mais elle me scie le dos et coupe mon souffle.
 
Je me couche, pleure de douleur et continue de chasser cette main de fer qui broie mes vertèbres et muscles dorsaux.
 
Je rampe a quatre pattes jusqu’à ma trousse de soins. 2000gr de Doliprane, du baume et de la gaulthérie à gogo en friction.
 
Le 4×4 Lada des gardes forestiers arrive. C’est mon cri de rage qui les aurait alerté.
 
Ils sont armés de pistolets et fusils.
 
Ils descendent et forment un rond autour de moi, encore à terre.
– il souffre, dit le plus âgé
– c’est moche, grimace le plus grand.
– son vélo me plaît, pense tout haut le plus jeune.
– on ne peut le transporter ainsi.
 
Le plus vieux me touche avec sa botte:
– on ne peut pas le laisser comme ça, il vaut mieux l’abattre.
 
Il saisi alors son fusil jusque là en bandoulière sur son épaule, se penche vers moi et fait un signe de croix.
Mon coeur tambourine jusque dans mes oreilles. Je tente de leur expliquer quelque chose avec Google traduction, mais je n’ai pas de réseau.
 
Je lève le bras, téléphone en l’air tel un lasso à 4G…
Ils éclatent de rire.
Ils voulaient juste m’aider… Et je ne comprends rien au bulgare.
Ils repartent chasser l’ours des Balkans.
 
J’offre mon dos à la main chaude du soleil, j’invoque une guerison spontanée, d’habitude cela fonctionne très bien… Là non.
 
Je repars. Encore 20km de descentes sur cette piste accidentée.
20 km debout sur les pédales, jambes fléchies pour amortir les chocs et secousses.
Le niveau de concentration est tel que je ne pense pas à mon dos.
 
Asphalte !
Enfin !
Sofia en pente douce.
 
Ce n’est pas le titre d’un livre Mediapop, mais la longue descente jusqu’à la capitale bulgare qui est née dans un trou.
 
On n’en fini pas d’entrer dans Sofia.
Voie rapide, suffisamment large pour se sentir en sécurité, asphalte doux, ligne droite vers la sagesse.
 
Je me réserve un hôtel pas cher en centre-ville… Mon dos ne me permettrait rien d’autre.
 
J’ai cette satisfaction de dépasser des files de voitures en embouteillages… Se dresse devant moi une immense mosquée, je tourne vers mon hôtel, là, je découvre une synagogue tout aussi grande, entourée de blindés et de policiers.
 
L’hôtelier à qui il manque un bras me dit que je vais dormir dans le triangle des tolérances. L’hôtel est entouré depuis des siècles par une église, une mosquée et une synagogue au coeur de Sofia !
 
Aujourd’hui plus que jamais, Sofia porte vraiment bien son nom.
 
Mes vertèbres et muscles du dos m’imposent un arrêt de 2 jours dans la capitale Bulgare.
 
Je m’y promène un peu seulement.
 
À une terrasse j’entends parler français. Une bande de copains très sympathiques rigole autour de quelques verres et j’entame une discussion avec ces chaleureux toulousains curieux de ce voyage à vélo.
 
J’aime à expliquer que si je le fais, sans capital sportif ni préparation, ils peuvent le faire aussi.
 
Ça semble avoir chatouillé l’envie de quelques-uns… 
À suivre.